Les saintes : Ainsi sont les filles de la nuit à Bangkok
Fabrice Guénier explore les quartiers chauds de Bangkok, Phnom Penh ou bien encore Manille. L’auteur y livre une véritable ode aux filles de joie de Thaïlande. Avec style.
Largué. Le narrateur du livre, quitté par sa femme, part noyer son chagrin en Asie du Sud-Est. Il passe de quartier chaud en quartier chaud, de corps en corps pour oublier. Les Saintes est une succession de descriptions, réussies, de scénettes de la “vie nocturne” en Thaïlande, au Cambodge, au Vietnam et aux Philippines. L’auteur s’attache à l’expression d’un visage, au battement d’un cil, à un sourire, à la douceur d’une peau, à une larme, à l’éclat d’un regard, à la forme d’un sein, à un souffle, à l'atmosphère d'un bar…
Il décrit ces lieux, souvent sordides, où évoluent parfois avec une grâce infinie ces naïades de la nuit. Un voyage initiatique au tréfonds de l’âme humaine. Le narrateur veut s’oublier et descendre toujours plus bas, en espérant y trouver une sorte de rédemption. Il tombera amoureux d'un homme devenu femme.
Dans cette ambiance de fin du monde où les conventions sociales, telles que connues en Europe n’ont plus cours, Bangkok fait se rencontrer deux mondes. D’un côté, ces filles de la nuit “offrant tout”, “montrant tout”, “acceptant tout”, “pour faire vivre maman, papa, le gosse qu’elles ont eu à seize ans, les petits frères, les sœurs, les cousins, les beaux-pères”. De l’autre, ces clients, “ces mâles cassés, ces accidentés domestiques, ces divorcés dépressifs, ces seniors défoncés au Viagra. Ces rêveurs, ces vulnérables, ces frustrés”…
Fabrice Guénier assimile Bangkok à Lourdes. “Et comme à Lourdes, on ne regarde pas si le malade a des bras, s’il sent bon, ni même s’il est aimable”. De ce télescopage improbable, l’homme, lorsqu’il se souviendra de ses partenaires tarifées, préférera penser “qu’elles sont fortes, qu’elles réfléchissent moins, ressentent moins”… qu’elles sont “d’une culture différente“, puis il rentrera chez lui en Europe, comptant ensuite les jours qui le ramèneront en Asie.
Les saintes se rapproche beaucoup plus du Pattaya Beach de Franck Poupart, en plus descriptif et moins analytique tout de même, que des polars de John Burdett, à l’humour délicieusement incorrect. Tout comme Franck Poupart, Fabrice Guénier quitte le temps de quelques semaines la morne et grise France pour l’Asie ensoleillée et vibrante. Le choc est violent. Surtout lorsqu’il s’agit de revenir à Paris.
Servi par une belle qualité d’écriture, Les saintes ravira les amateurs de ces ambiances déglinguées où deux urgences se croisent le temps d’une rencontre éphémère. Pour le meilleur et pour le pire.
Les saintes de Fabrice Guénier – Éditions Gallimard.
En vente à Bangkok dans la librairie Carnets d’Asie, au sein de l’Alliance française.
LB (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) vendredi 5 juillet 2013