Manifestation anti-Thaksin et guerre des mots à Bangkok
Quelques milliers de personnes ont manifesté dimanche à Bangkok contre le gouvernement, un rassemblement qui a fait craindre des débordements dans une capitale théâtre ces dernières années de nombreux mouvements de rue violents. Les pro et anti-Thaksin se sont lancés plusieurs accusations dans les médias.
Photo LPJ Bangkok.com LtdL’Armée du Peuple, qui rassemble divers groupes ultra-royalistes, a appelé à manifester à partir d'hier dimanche contre une loi d’amnistie qui sera examinée mercredi par le parlement et plus généralement contre le clan de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont la sœur dirige le gouvernement depuis 2011. Le texte présenté par le parti au pouvoir prévoit d’amnistier les militants politiques impliqués dans les mouvements qui ont secoué le royaume depuis le coup d’État contre Thaksin en septembre 2006, jusqu’en mai 2012.
Si le projet exclut a priori les dirigeants des divers mouvements, ses opposants craignent qu’elle ne permette le retour de leur ennemi juré, Thaksin, en exil pour échapper à deux ans de prison pour malversations financières.
Brandissant des drapeaux nationaux et les drapeaux jaunes de la monarchie, les manifestants, environ 4.000 selon la police, se sont rassemblés au parc Lumpini, dans le centre ville de Bangkok. “Il est temps pour le peuple thaïlandais qui aime ce pays de s’unir et de devenir une armée du peuple pour renverser le régime Thaksin”, a déclaré l’un des leaders de l’Armée du Peuple, le général à la retraite Preecha Iamsuwan. “Je ne peux plus accepter cette famille. Tout ce qu’elle fait est pour sa famille, pas pour le peuple”, a renchéri un participant, Jarucha Saesuwan. L'Armée du Peuple a déclaré dimanche soir son intention de rester toute la nuit devant le parc Lumpini.
Malgré les craintes soulevées notamment par la Première ministre Yingluck Shinawatra qui s’était dite “inquiète” samedi des risques de violences, la présence policière était relativement discrète. Le vice ministre de l’Intérieur, Pracha Prasopdee, a indiqué au Bangkok Post que, selon des administrations locales, chaque manifestant avait été payé entre 300 et 500 bahts pour être présent ce dimanche. Il a ajouté que la somme, par personne, pourrait s’élever à 2.500 bahts en cas de participation à de nouveaux rassemblements “dans les trois à cinq prochains jours”. Les Chemises rouges et les Chemises jaunes s’accusent mutuellement de “payer” leurs supporters respectifs pour que ceux-ci viennent grossir le rang des manifestations qu’elles organisent. La pratique est en effet courante en Thaïlande.
En prévision des manifestations, le gouvernement a imposé dans trois districts du centre historique de Bangkok la Loi de sécurité intérieure (ISA), qui permet notamment l’instauration d’un couvre-feu, la fouille de bâtiments et la censure des médias. Mais le rassemblement avait lieu dimanche en dehors de cette zone qui abrite nombre de bâtiments officiels. Ceci dit, les adversaires du clan Shinawatra ont annoncé leur volonté de manifester à nouveau dans les prochains jours.
La journée de dimanche a été marquée par une guerre des mots entre les pro et les anti-Thaksin. Le principal dirigeant de l’Armée du Peuple, Thaikorn Polsuwan, a ainsi démenti dans le Bangkok Post l’intention de son groupe de kidnapper le Premier ministre Yingluck Shinawatra ! Cette accusation avait été lancée par un député du Pheu Thai, le parti majoritaire au parlement.
En revanche, Thaikorn a soutenu que Thaksin avait atterri incognito sur l’île Koh Chang pour piloter à distance les forces de sécurité, chargées d’encadrer les manifestations contre le projet d’amnistie. Ces déclarations montrent s’il en est, combien la Thaïlande reste un pays très divisé politiquement.
La Thaïlande vit depuis des années au rythme d’immenses mouvements de rues, dont plusieurs sont parvenus à faire chuter des gouvernements pro-Thaksin. Le royaume voit une forte opposition entre les masses rurales et urbaines défavorisées du nord et du nord-est, fidèles à Thaksin, et les élites de Bangkok gravitant autour du palais royal, qui le haïssent.
En 2010, les Chemises rouges fidèles au milliardaire avaient occupé Bangkok pendant deux mois pour réclamer la chute du gouvernement de l’époque, jusqu’à un assaut de l’armée. La crise, la pire qu’ait connue la Thaïlande moderne, avait fait plus de 90 morts et 2.000 blessés. L’an dernier, le camp Thaksin avait déjà tenté de présenter une loi d’amnistie, avant de la reporter pour éviter une crise politique après des manifestations.
LB avec AFP (http://www.lepetitjournal.com/bangkok)