La corruption en Thaïlande est un fléau économique et social
La corruption est un mal qui ronge la Thaïlande depuis bien longtemps et est profondément ancré dans la culture du Royaume de Siam. Même si plus d’un Thaïlandais sur deux considère que la corruption est un état de fait acceptable, il s’agit de s’interroger sur le vrai danger que cette dernière représente pour une nation.
La corruption à grande échelle (comme c’est la cas au Pays du Sourire) a en effet un impact non négligeable sur la croissance économique. Non seulement les sommes d’argent perdues lors de l’implémentation des différents projets financés collectivement sont colossales mais la lutte contre les dérives a elle aussi un coût qui vient s’ajouter à l’addition déjà salée qu’une minorité inflige à tous.
La Thaïlande tente depuis de nombreuses années de faire le ménage dans ses affaires de corruption, notamment par l’introduction régulière de nouvelles lois. Le problème c’est que l’élite qui dirige le Royaume baigne allègrement dans la corruption la plus totale et n’a donc aucun intérêt à jouer contre son propre camp en jugulant l’hémorragie pour dynamiser l’économie nationale et améliorer les niveaux de vie.
Pour cette caste dominante mieux vaut continuer à drainer l’argent public par le biais de différentes organisations de corruption pyramidales qui font systématiquement remonter les deniers jusqu’à elle.
Naam Jai à la sauce corruption thaïlandaise
Il y a bien longtemps, les représentants de l’État n’étaient pas rémunérés et avaient l’autorisation de conserver pour eux de 10 à 30% de la recette fiscale pour se rétribuer. A cette époque déjà, les abus existaient et les officiels corrompus étaient ironiquement appelés les « Gin Mueang » par la population (cela signifie « mangeurs d’État » en Thaï).
Il est également intéressant de noter que la culture thaïlandaise fait découler le mérite du pouvoir. Au Siam donc plus vous avez de pouvoir et plus vous êtes méritant et admiré par votre voisin.
De même, dans la tradition thaïlandaise, il est convenable et même souhaitable de faire des cadeaux aux personnes disposant d’un statut social plus élevé que le sien pour s’attirer leurs faveurs (particulièrement s’il s’agit de représentants officiels).
Il n’est donc pas étonnant de voir les Thaïlandais d’aujourd’hui accepter en si grand nombre la corruption et continuer à payer sans broncher les officiels en vertu du principe de « sin naam jai » (cadeau de bonté de cœur) sans même réaliser que, si ces procédés étaient peut-être cohérents dans le cadre d’une société traditionnelle, ils sont un véritable poison dans une société et une économie modernes.
Fait amusant, une étude, menée par Pasuk Phongpaichit et Sungsidh Piriyarangsan, a démontré que dans le même temps, les Thaïlandais se disent choqués par le simple fait de s’approprier un stylo sur son lieu de travail pour l’emporter chez soi ! Incroyable et pourtant vrai.
Régionalement la corruption est également très présente en Thaïlande avec l’existence de ceux que l’on nomme les Jao Pho. Historiquement les Jao Pho sont des « parrains » très influents qui supervisent un peu tout et n’importe quoi (mais surtout les affaires) dans leur sphère d’influence territoriale. Ils sont bien entendu au-dessus des lois et encaissent des sommes d’argent colossales en vertu de leur statut.
En Thaïlande personne n’échappe à la corruption: de la structure entrepreneuriale aux individus, il est difficile d’éviter ce phénomène qui trouve ses racines dans la culture même du pays.
Mais alors finalement quelle est l’étendue réelle de ce fléau économique et social ?
Évolution du CPI en Thaïlande
Penchons nous tout d’abord sur le Corruption Perception Index. Le CPI est un indice qui évalue la perception de la corruption dans un pays par les entrepreneurs, les intellectuels et divers type d’analystes. Les pays sont notés de 0 à 10, 10 étant un environnement sans corruption et 10 étant une corruption ambiante absolue.
La Thaïlande occupe la 80ème place mondiale en 2011 (10 places de perdues depuis 2003) avec un CPI de 3,4 (qui a dit que la Thaïlande était un lieu idéal pour entreprendre ?).
Au Pays du Sourire la corruption est considérée comme le 3ème plus important problème national à Bangkok et le 4ème dans les zones rurales (après l’économie, les drogues et le coût de la vie). La problématique est donc bien réelle et suffisamment étendue pour fédérer les Siamois autour de l’idée qu’il s’agit là d’un fléau à combattre.
Bien que la majorité des Thaïlandais estiment disposer d’un système judiciaire juste, 30% de ceux qui se sont présentés devant un juge indiquent avoir eu la possibilité de payer un pot-de-vin pour se sortir d’affaire. L’étude de Pasuk Phongpaichit et Sungsidh Piriyarangsan révèle à ce sujet un état de fait pour le moins étonnant: le montant des pots-de-vin réclamés sont souvent d’un montant égal aux frais de procédure judiciaire dans sa globalité.
La palme de la corruption revient aux services public gérant les interactions entre secteur privé et État. Entre entreprises du secteur privé et officiels, les appels d’offre se négocient à coût de pots-de-vin: jusqu’à 40% de la valeur du contrat concerné ! Pas étonnant que l’économie en prenne un coût.
La corruption est une menace pour la démocratie
La corruption en Thaïlande est partout et elle représente un sérieux frein à la démocratie. Outre le fait qu’acheter les voix de ses électeurs est une pratique courante en période électorale (un tiers de la population thaïlandaise déclare avoir eu la possibilité de recevoir de l’argent en échange de son vote), les élites siamoises sont parvenues à se débarrasser du pire ennemi de la corruption: les médias.
Le rôle des médias est prépondérant dans la lutte contre la corruption. En effet des médias libres sont la garantie d’un travail d’investigation incessant à la recherche de l’affaire bien sale à faire éclater au grand jour pour informer, faire des ventes et de l’audimat. Le seul problème, c’est quand Thaïlande les médias sont largement muselés par les dirigeants du pays et ne peuvent pas faire leur travail correctement. La voie est alors libre pour les individus peu scrupuleux en tout genre et la corruption va bon train en haut lieu sans risque de se faire attraper la main dans le sac et de finir à la une de tous les journaux nationaux.
La corruption en Thaïlande est donc bel et bien un fléau d’envergure qui nuit très largement à l’économie mais également à la démocratie. Sous les pressions combinées des nations occidentales et des organisations non-gouvernementales, la Thaïlande tente d’opérer timidement les changements nécessaires; mais la motivation dans les arcanes du pouvoir n’y est pas et la situation semble même s’aggraver au Pays du Sourire.
Un grand merci à Matias Warsta du Swiss Federal Institute of Technology pour son travail de synthèse qui a permis l’écriture de cet article. Vous pouvez télécharger le PDF complet « Corruption in Thailand » en anglais en suivant le lien suivant: la corruption en thailande
Source : Reeon http://www.thailande-infos.net/societe-thailande/corruption-thailande/13601/